. . . EMPREINTES . . .

Françoise Gérardin

Portraits de Dolfo par Fausto. Peynier, été 1971

Quelques jours en visite, quelques thèmes de bavardage, l’art, la peinture, le fusain, le pastel, la création, la lumière, Dieu même, les contrastes, le cinéma espagnol de l’après-guerre et les grandes époques du Western…. quelques heures en nocturne à développer photos et réflexions philosophiques…  Les enfants, tout petits, dorment déjà et les compagnes s’endorment aussi. Les deux beaux-frères assistent souvent aux levers des jours…

Un matin Dolfo propose de se rendre à Aix-en-Provence pour se procurer du papier Canson et des craies pastel, intéressé qu’il est par une technique qu’il aimerait perfectionner : Te hago de modelo y, tú me dibujas, ( je pose et toi tu me dessines) dit-il à Fausto.

Aix est tout près de Penyier. A leur retour d’achats, Fausto déplie les emballages avec délicatesse, il ouvre la boîte en sortant un à un les bâtons comme pour les personnaliser. Il les repose puis, il les essaye sur une feuille en traçant quelques lignes régulières, il les replace, referme la boite à glissière. Il s’empare du bloc des feuilles Canson qu’il effleure de ses doigts avec une gourmandise contenue.

Rapidement, l’installation précaire dans un coin de la véranda fera office d’atelier. Les chaises d’appui se mobilisent, l’une pour le modèle, l’autre à deux mètres de là, dans le sens contraire pour poser le carton, et la troisième, celle qu’occupera Fausto en dessinant.
Le café refroidit sur la table, les craies découvertes patientent dans leur étui, le bloc de feuilles est calé sur le dossier de sa chaise et Fausto, avec la parcimonie d’un jeune séminariste à sa première messe, s’empare du fusain qui tracera en noir le cadrage et initiera les proportions du dessin.
Une demi-heure devrait durer la séance, entrecoupée d’une minute de détente. Fausto en touillant son troisième café inspecte, à la dérobée, la relaxation des muscles du modèle tout en spécifiant l’importance du point de mire : le regard ne doit pas changer de direction. Enfin Fausto s’assoit, et sans s’arrêter de blaguer, il mesure le temps. Peu à peu une lenteur méditative s’empare de son abnégation silencieuse et, seul, le frottement boisé du fusain sur l’épaisseur de la feuille scande l’harmonie qui se forme autour des éléments réunis.

Passées une dizaine de minutes le dessinateur devient auteur. Il sifflote, allume une cigarette. Le modèle en profite pour relâcher les tendons des épaules et du cou. Puis, subitement, comme le chef d’orchestre étend son bras au-dessus du silence en désordre, Fausto, armé d’une craie, lève la main, attire l’attention du regard d’en face puis d’un trait de bistouri à l’arcade sourcilière, il initie la coloration du visage.
Dolfo à sa place statuaire tente de maintenir la posture immobile et muette afin d’écourter la séance de pose paralysante. La demi-heure est double puisque Fausto réalise deux croquis à la suite.

Deux manières de traiter le pastel. La première estompe les ombres et liquéfie les contours lumineux sauf là où le foncé d’un angle trapézien unit avec énergie le menton, la gorge et l’épaule en maintenant la droiture toute classique de la figuration.
La seconde esquisse démontre une volonté caractéristique de l’Ecole de Madrid, à l’époque où Fausto y étudiait et qui tendrait à colorer chaque facette délimitée sans préoccupation du fondu ; ici, les traits découpés s’englobent dans une ligne courbe qui, jusqu’au ras de l’encolure blanche, semble vouloir exprimer une réticence virile marquée (ça me rappelle certaines allures de Robert Mitchum).

Cette sensation est peut-être due à ce qu’au bout d’un laps de temps, Dolfo, tendu, immobile et muet, est molesté par quelques fourmillements d’impatience…


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