. . . EMPREINTES . . .

Françoise Gérardin

TRANSFORMISTA

Huile sur toile, 81x65, 1966

Une question se pose face à ce tableau : comment l’apprécier ?

Il me paraît si moche ! Si maladroit !

Une texture pâteuse, terne et triste de couleurs. Une figure statique à son fauteuil assise, le geste raidi. A sa base droite dans la pénombre, une main gauche cadavéreuse, fuyant son accoudoir. A gauche, une main droite engoncée dans l’épaisseur cliquetante de bracelet en or, tient à poing fermé un éventail replié. Une demi-face outrageuse, l’autre évanescente. Une œil qui perce sans regard sur ce trois-quarts, l’autre quart trouble est sans œil. Une blanche robe organdi, tache descendante au centre de la toile brunâtre. Un fond vieux bois vernis marron d’où tombent quelques traits d’ombre de cigare éteint. Au dernier plan de ce fond la vision diffuse d’une présence estompée…

Et pourtant !

Pourtant si cette figure vit encore, si elle subsiste au temps et à la vue, c’est bien parce que son inventeur ne l’a pas détruite ! Et si Fausto, malgré la piètre finitude dérisoire de l’œuvre, a trouvé bon de la sauvegarder, c’est qu’il avait une raison ! D’habitude si exigent envers le résultat plastique de son travail, il est étonnant que l’altérité appauvrie de celui-ci soit passée hors de ses propres convictions de peintre accompli.

Combien de tableaux ai-je vu terminés, signés, exposés même qui se sont évanouis à jamais sous une couche de blanc ripoliné, jugés techniquement ou esthétiquement intolérables par leur auteur. Et cette toile à mes yeux, si médiocre, il la sauve, il la conserve, il l’admet, il l’accepte, il la convie, l’assoit sur une stalle inquisitrice, tel un témoin permanent qu’on ne questionnerait jamais. Telle une rencontre spécialement apprêtée que le baron de Charlus aurait dédaignée. Tel un vitrail inachevé qu’un Rouault distrait aurait oublié dans le recoin d’une chapelle rénovée…

Et si l’oubli était volontaire ?

S’il cachait une signifiance inhérente à son élaboration furtive et contrite ?

Alors… Alors la robe mousseline, ourdie à la sécheresse de son décolleté d’où les seins à peine bombés se séparent sous la brillance clinquante d’un sautoir tarabiscoté, cette robe, aussi serrée que boursoufflée, assemble, peut-être, de vaines recherches à l’épanouissement du modèle assis et guindé sur son fauteuil en demi-teinte. La chair burinée des épaules et du torse, tranchée par à coups grossiers, semble vouloir écraser les présupposés volumes, sertissant de noir le contour bitumé des membres anguleux. Quant au visage crispé sur le cou tendu par une arabesque en découpe, il s’agrémente d’un sourire énigmatique sous la flaque écarlate d’un fard outrancier en désordre ; ajout plus inexplicable encore que la virilité du menton qui s’étire entre l’éclat de deux boucles d’oreilles. Un scintillement noirci au charbon perce l’ombre temporale sous l’arcade sourcilière très fournie, jusqu’à la rouflaquette s’attachant à la chevelure ébène qu’une mini couronne dorée dresse vers le haut du tableau.

Si le côté droit de la figure ressort difficilement de l’obscurité générale, son côté gauche lui, plus encore, estompe sa passivité avec le quart du visage à l’œil presque inexistant ; Le bras tracé par de longues lignes verticales, laisse tomber une main inerte, à peine esquissée (mais quelle expression muette !) sur les fioritures du fauteuil voué au néant.

Et dans le fond du fond, cette présence illusoire… spectre ? spectateur…? subconscient …? Souffle troublant qui surprendrait la réalité inavouable d’un déguisement trop bien ajusté. Ce clair-obscur, clair et obscur, travesti et pourtant.

Subitement, je crois comprendre l’efficacité du semblant incarné et la raison profonde de l’attachement au non-conçu-convenablement. Sans démagogie ni d’abondance teintée, par son humble acceptation, Fausto nous révèle la fragilité artistique, et par là humaine, qui nous invite au respect et à la conciliation intérieure.

Puis, soudain, je me souviens de la situation « claire-obscure » d’un étudiant, de ses amis des Beaux Arts qui, un jour, le prit à parti pour lui avouer timidement se inhibitions et les souffrances découlant de l’incompréhension que son entourage lui réservait et du danger à essayer de s’accomplir à l’encontre de la moralisation institutionnelle de l’époque en Espagne.

TRANSFORMISTA

Ce tableau est de ceux qui s’installent entre les « encres » exécutées à Paris (1965-1966 ) et les influences dominantes que Fausto retrouve en tant que professeur aux Arts et Métiers à son retour à la terre natale où l’envol artistique ne s’admet, en général, que d’une manière éloignée et abstraite.

Le peintre hésite alors sur le choix de techniques qui assimileraient à la fois les tonalités aérées des encres lithographiques et la peinture à l’huile du mode académique. Quelques semaines après la conception de Transformista, au cours d’essais tout d’abord infructueux, soudainement, dans un jaillissement et comme poussées par un mouvement sismique, ensemble, les terres noircies giclant de leur tube et les encres débordant de leur boîte, font exploser la croute du cratère en fusion dont les cristaux des premières brillances découvriront la technique mixte, celle qui personnalisera bon nombre d’œuvres de Fausto jusqu’aux dernières épreuves, en1995.


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