Ainsi moralement stimulé par la logique sociale qui feint une éventuelle liberté tout en verrouillant la dernière porte du toril, Fausto prendra-il à peine le temps d’un regard réflexif pour bondir sur la proposition flatteuse que ni lui, ni Fafa par ailleurs, ne voudrait accepter. Car, de leur point de vue, elle les mènerait vers cette impasse immobiliste que Jaén, parmi les provinces espagnoles, personnifie le mieux. Or, coincé entre les planches circulaires de l’arène et la muleta tournoyant à l’intérieur, Fausto choisit de charger cette dernière en acceptant le défi.
Il laisse passer plusieurs jours, puis il décrète que l’enseignement artistique dans une école d’Etat le tiendrait à l’abri de l’asservissement commercial et se décide pour ce qui lui paraît le plus sage ; c’est-à-dire occuper cette place de professeur intérimaire qui, par définition, ne saurait trop durer.
Un peu contrite, à travers la poussière brûlante de la Mancha, la deux-chevaux cadencée par le dicton inusable de : En Jaén se entra llorando y se sale llorando *« A Jaén on y entre en pleurant , on en ressort en pleurant. »…, rejoint la ville de Jaén avant la Toussaint.
Les parents de Fausto, ravis du retour de leur fils aîné qui ne leur a pas encore avoué son péché prénuptial, accueillent les bras ouverts les nouveaux mariés , et voyant la situation se stabiliser, ils s’ingénient à trouver une manière décente de les héberger. Le père propose d’agrandir le grenier sur la terrasse. La mère, beaucoup plus pragmatique, propose l’achat d’un appartement qu’on rembourserait peu à peu. Après maintes recherches, le choix se fixe sur la Torre de Jaén. Par sa hauteur impressionnante, l’immeuble moderne, aux portes de la ville, effraie les clients potentiels, tant et si bien qu’il est vide encore et semble déjà abandonné par l’histoire. Qu’à cela ne tienne ! D’ailleurs, le concierge Paco, maître des lieux depuis quelques semaines, y trône à l’entrée, sur une chaise empaillée, pour recevoir les curieux et les possibles acheteurs, avec un sourire plein d’explications condescendantes. Tout le monde tombe d’accord, les parents signent le contrat de propriété pour un appartement du sixième étage entouré de baies qui dominent toute la plaine agricole qui cerne la cité.
Fausto a déjà pris sa place de professeur de modelage aux côtés de Damián Rodriguez à l’Ecole des Arts et Métiers, temporairement installée dans les locaux du Musée Provincial en raison des travaux de reconstruction de l’ancienne école, rue Martinez Molina..
Il reconnaît que sa nouvelle situation offre de nombreux avantages, ne serait-ce que l’emploi du temps auquel il est soumis et qui ne comporte que trois heures de cours par soirée, le samedi inclus -la semaine anglaise n’est pas encore instaurée. Cela lui permet de remplir les journées à sa guise. Quant au salaire, il est, par chance, sensiblement augmenté dès cette année 1966, passant d’environ quatre mille pesetas mensuels à huit mille pesetas.
Le nombre restreint d’élèves et le fait qu’ils soient motivés aide à rendre les cours amènes à tel point que Fausto peut s’adonner à l’étude de Don Quichotte sans pour autant faillir à son devoir de professeur !
La passivité d’une vie provinciale retirée des bousculades des grandes cités facilite la reprise des contacts amicaux. On parcourt à pied la ville tout entière peu gêné par de rares automobiles… d’une conversation à l’autre… de bar en bar… on passe de la nuit au jour sans autre difficulté que celle de garder l’aplomb… Fausto s’accommode de cette atmosphère de salle des pas perdus, somme toute réconfortante car elle lui permet d’accrocher le passé d’étudiant et le présent professoral à la locomotive de ses aspirations artistiques, là, chez lui, sans avoir à changer de gare… Et puis, tant d’événements extérieurs à raconter, tant de secrets à révéler - vingt-sept ans de paix ont quelque peu érodé la cruauté du silence - tant de nouvelles du monde à découvrir et à communiquer… Il réintègre rapidement l’ambiance agricole de la ville qui lui paraissait si étouffante l’été antérieur mais dont les perspectives artistiques et familiales animent, à présent, jusqu’à l’encerclement des oliveraies.