Evocations... Mon mari, Fausto Olivares, peintre.


Françoise Gérardin
Chapitre 9 : 1966

Entre France et Espagne : peinture, mariage et chansons

Voici la deux-chevaux Citroën, bourrée et enflée sous le tissu plafonnier, qui se prépare une nouvelle fois à l’affrontement des secousses que la route, dans sa houle répétitive, lui infligera jusqu’à l’usure.
Chargée de hoquets d’adieux, d’émotives sensations d’aventure hasardeuse - Andalousie… terre des maures… - elle s’apprête à déménager quantité d’objets souvenirs, des bristols peints, des toiles à demi tachées, ainsi que cinq boîtes d’encre typographique - bleue, jaune, vermillon, carmin et noire - achetées en vitesse chez l’imprimeur de Mirecourt, bien étonné pour sa part d’apprendre que ces pâtes colorées serviront à la fabrication de tableaux artistiques !

Deux mille kilomètres. Jaén. Puis rapidement Madrid. Petits hôtels. Attente de la bourse sollicitée. Reprise de contacts avec les galeries où quelques tableaux déposés l’année précédente sont souvent difficiles à récupérer ; certains ont été vendus et le pourcentage à présent se partage tant bien que mal. Cependant le soutien moral des amis comble l’instabilité du moment. Pour Angel et Isidro, les intimes qu’ils resteront toujours, la venue d’un enfant sacralise le futur de Fausto ; ils s’unissent à lui dans la recherche de quelque possibilité d’avenir : le professorat, idée qui n’enthousiasme guère l’artiste, les œuvres commerciales dont les Américains sont acheteurs… les cours particuliers… les concours officiels auxquels il pourrait s’inscrire… Tout doucement, la situation de Fausto se dessine en milieu artistique de la capitale tandis que Fafa peu à peu décèle, sans la comprendre encore, l’incommensurable patience dont est capable tout Espagnol et l’ironie trompeuse qui s’en dégage si souvent.
Quelques corridas somptueuses, Antonio BienvenidaAntonio « Bienvenida »  Antonio Mejías Jimenez (1922-1975 ) : Torero, descendant de Manuel Mejías Rapela. à Las Ventas (les arènes madrilènes), ponctuées néanmoins d’explications primordiales, l’initient au mystère quotidien des stratèges ibériques. El engañoEngaño et muleta : Termes de tauromachie. par exemple qui consiste entre autre à esquiver les élans du taureau à l’aide de la muleta, mais qu’elle ne parviendra jamais à traduire correctement car, si elle en accepte le sens de mensonge, de piège, de duperie, il lui faut aussitôt y apposer, comme un négatif à une photo, celui de défense, de protection ou d’échappatoire ; l’engaño serait une cotte de maille en arabesque indispensable à la survie des habitants de cette autre planète ; là où les aveugles, dès l’aube, crient à chaque coin de rue les numéros des billets de loterie nationale qu’ils sont chargés de vendre, où les estropiés garent officiellement des automobiles en échange d’une pièce de monnaie, où les passants chapeautés offrent le bras à de très élégantes et très guindées citadines tandis que d’autres mâchonnent des compliments obscènes aux filles qu’ils croisent sur leur chemin, pendant que l’odeur du café matinal chasse de l’horizon les serenosSereno : serein . Dans ce cas, sorte de concierge extérieur, qui passe la nuit à arpenter les rues, passe-partout en main , au service des habitants qui ne peuvent pas toujours ouvrir leur porte, ou qui auraient besoin d’aide. qui ont protégé la paix nocturne des immeubles, munis de leurs trousseaux cliquetant de clefs et de leur bâton sonorisant l’inégalité du pavé.

Fausto reprend ses habitudes madrilènes, les repas dans les petits restaurants de la rue San-Bernardo où d’anciennes connaissances l’arrêtent au passage pour échanger quelques phrases, les salles de cinéma qui projettent deux films pour le prix d’un seul, les visites aux galeries d’art avec son carton sous les bras. Et puis, dans une attente stimulée par un environnement qui grouille, il se prépare à rester là, à Madrid ; il cherche un appartement à louer avec Fafa qui attend, elle aussi…
C’est alors que le destin tournicote un tour de passe-passe avec engaño à l’égard du peintre dont le projet pirouettera loin des arènes artistiques de Madrid.
En effet, l’Ecole des Arts et Métiers de Jaén qui nécessitait un professeur de modelage, ayant appris par sa famille que l’ancien élève vit à Madrid, envoie d’urgence une estafette, en l’occurrence son frère Paco, afin de persuader l’aventurier d’accepter la place fort enviable de fonctionnaire de l’art qu’on lui réserve.


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