Evocations... Mon mari, Fausto Olivares, peintre.


Françoise Gérardin
Chapitre 36 : 1993~1994

Expositions d'envergure

L’accélération des travaux d’aménagements des routes, propice aux déplacements interrégionaux, fait clapoter sur les sols ibériques une multitude de Lodens verts qui rêvent d’escalader, d’ici même, les cimes alpines.
Entreprenante et plurielle, l’Espagne manifeste à grandes enjambées verdoyantes, de la Sierra Nevada à la Forêt Noire, son mondialisme participatif. Et, bienque quelques chefs tombés, non sans regrets, étêtent depuis peu son universalisme, (Jorge Semprún n’est-il plus ministre de la Culture ?…) elle organise d’ores et déjà les évènements internationaux qui vont se jouer sur les terrains d’une géographie urbaniste transfigurée.
Les Bankinter et les Barclays, prometteurs de stabilité, prennent place en première ligne avec vue sur la mer. Et les vitrines clinquantes des Cajas de AhorrosBanques-Mont de piété : importantes institutions bancaires des régions et provinces espagnoles. servent de phares en trompe-l’œil aux barques de fortune pour migrateurs chanceux.
Des voix de sages, en fond d’écran télévisées, réapprennent à se taire, cédant la place aux hauts-parleurs qui annoncent les Séville 92, les Olympiades barcelonaises et bien d’autres grandes vitesses, telle que celle qui unit tantôt Madrid à Séville par la ville de Cordoue que les ultimes transes ‘mercantilo’-ferroviaires secouent, en en disloquant les avant-dernières fondations arabo-andalouses.

Fausto, lui, est à son poste. A l’intérieur de son balcon. Recroquevillé sur l’exaltante coloration gaditanaDe Cadix. que les bandes vidéos diffusent en chirigotas et murgasChirigotas et Murgas : Expressions chantantes et dansantes du Carnaval. , le fil des écouteurs branché aux oreilles, les lunettes correctrices d’ouïe aux yeux, une loupe à la main gauche, un mégot songeur sur son couvercle de TitanluxMarque de peinture., auréolant la table ridée de couches multicolores séchées, une cuiller à café collée au verre vide, en attente. Deux réflecteurs, capuchonnés de carton en volute, illuminent par-dessus la casquette protectrice frontale, huileuse de lin, le rectangle blanc adossé à la cloison… Ça n’est pas un déguisement ! Ç’est le costume le plus dénudé d’appareillage voué au rythme des coups de pinceaux.
Si la musique est une construction du silence, la peinture est une adéquation de l’espace ; et le copieur de carnavals en couleur semble incapable de teinter l’espace sans l’élocution audible du silence !

Ces mises en place synergiques, sur à peine deux mètres carrés, suffisent à l’embrayage d’automatismes, multiplicateurs d’incomparables originaux. Grâce à un empressement de forain derrière le manège, Fausto dissimule ses abattements ; il consomme l’énergie surhumaine qui le pousse, au quotidien, vers les tranchantes lueurs aurorales.
Sans provoquer d’angoisse apparente, une torpeur inexpliquée s’empare des parenthèses que, jusqu’à présent, il remplissait d’insouciance récréative ou de participation au monde environnant.
Etrangement, son allant créatif n’en sera que plus renforcé.
On le voit préparer les expositions d’envergure anthologique, sciant à grand bruit et collant les plaques en bois aggloméré, ou contre-plaqué, dont il fabrique ses cadres. Le balcon lui sert d’atelier aéré et sonorisé… d’une part les copeaux et la sciure s’en échappent à tout vent, d’autre part, les grincements de fraises électriques, à l’heure de la sieste ( qui correspond à l’heure matinale pour lui…) ça dérange les voisins du quartier et ça fait lever la tête aux allongés de la plage… des plaintes … hargneuses ou poliment étonnées ( ce qui correspond à l’occupation touristique anglaise ), s’arment de vives voix. Les gens paraissent bien irascibles, susceptibles, intransigeants… Le moindre bruit les affole !… Fausto promet, malgré tout, et avec forces excuses de se faire plus silencieux, de se faire tout petit, invisible, introuvable. Oui. Et, incurable aussi, il accentue la vitesse d’une course impitoyable, incontournable, indécelable encore…
Mais durant les sessions d’extrême exigence, une imperceptible traîtresse, une sorte de somnolence, va commencer à tarauder les journées de l’artiste.

Naturellement, le refus catégorique qui répond à une suggestion logique, insinuée par Sérvula ou par Fafa, celle de consulter un médecin, fait partie des évolutions antagonistes de l’être qui suit la sinuosité de ses propres méandres.
Au cours de sa vie, tout en longeant des voies congruentes, ses principales obsessions obéissent à des raisons qui pourraient sembler s’opposer au dynamisme qui les suggère.
Dans l’actualité, Fausto en est à la pratique de sa propre récupération artistique. Afin de faciliter l’ordonnance que ses enfants tenteront, sans doute, d’effectuer plus tard, il orientera l’avidité du collectionneur de soi-même en vue de l’émergence, certaine, qu’un futur propice saura maintenir hors de l’oubli.

Il est donc pressé de dater les reproductions de tableaux qu’il enserre dans deux classeurs différents par souci réaliste, aussi respectueux que discret : l’un comprenant les photos, les titres, les matières employées, l’année de production et les dimensions, plus la numérotation se rapportant aux clichés photographiques. Pour le deuxième dossier, les titres sont énumérés avec le détail des prix au moment de l’exécution ainsi que les prix de vente réels ou le fait d’un cadeau, les dates de transfert et le nom des collectionneurs.
Il revernit des toiles ou les restaure s’il le faut. Il photographie les œuvres qu’il trouve à sa portée, quitte à frapper, tel un mendiant, aux portes de quelques anciens acquéreurs, très honorés et par ailleurs surpris de l’initiative qui renoue un contact quelquefois presque oublié. C’est avec plaisir que ces possesseurs décrochent des murs, fraîches et pimpantes, les prémices du talent qu’ils avaient supputé, eux ou leurs parents, il y a si longtemps… qui une nature morte, qui un paysage, qui un portrait… humides de luisance, par les yeux du souvenir, ravivées.


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