Quelques mois plus tard, à Hurbache, Corinne et Fausto sont en train de programmer l’enregistrement d’un film ultérieurement diffusé pendant la nuit. S’apprêtant à regagner la pièce de la remise où il peint lors des séjours en Lorraine, Fausto et sa belle-sœur sursautent à la sonnerie tardive du téléphone.
Appel de Torremolinos : Faustito, el tío de la gorra… ¡ que vende su balcón ! (Faustito, le type à la casquette… il vend son balcon ! ). C’est la mère de Fausto, encore essoufflée par ce qu’elle vient d’apprendre et qui transmet immédiatement la nouvelle.
Elle anticipe une réponse favorable et, au bout du fil, attend l’acquiescement qui conclura le nouveau marché ! Car, ça ne fait pas de doute… On doit acheter l’appartement de l’homme à la casquette et vite ! …
Le Père Noël et les crayons de couleurs ! …
A nouveau, Dieu a exhaussé sa requête… Et si son fils ne profite pas de l’occasion, c’est elle qui s’en emparera ! ….
Sérvula… et sa carriole d’espoirs cahotés au galop…
L’acceptation bouscule le rythme des vacances ; précipitation à l’heure du retour en Espagne avec la reprise du programme des enfants. Entre la plage et Jaén, allées et venues nombreuses qui tiennent plus du safari que du voyage d’affaire car les travaux d’aménagements routiers vers Málaga n’en sont qu’au stade d’ébauche et les glissements fréquents de morceaux de sierras n’accélèreront pas le tracé définitif de la voie rapide.
Revente du petit studio… tel quel, mais avec bénéfice… Rassemblement d’économies. Signatures notariées. Même jour, emménagement immédiat au huitième de la Torre París, sur le paseo marítimoBord de mer.. Cinquante mètres seulement séparent les deux studios, ce qui simplifie la tâche.
Et voilà Fausto, face aux entrelacements d’activités autonomes dont il parviendra à gérer l’horizon sphérique, depuis le panorama de son balcon grand angulaire.
Gestion des expositions ou des ventes de tableaux qui, ces dernières années, bénéficient de l’optimisation généralisée sur toute l’Andalousie, mais, surtout, structuration de son existence à l’égard des siens qui, de fait, et bien que de bon aloi, ressentent les absences régulières.
Néanmoins, malgré le dépaysement et la solitude, c’est avec un naturel surprenant que Fausto s’habitue au grand large ; en short et sans cravate…espadrilles aux pieds et lunettes sur le nez pour entendre ( Lunettes munies d’un dispositif à piles pour sourds ), il prend plaisir à ignorer les contrecoups provoqués par sa démission tapageuse et incomprise par certains compagnons de Jaén.
Les expositions engagent de nouveaux liens de confiance, et des amitiés sincères, sur la Costa del Sol, se découvrent un goût extravagant au contact du discret jaenésjaenés, jaenero, giennense : de Jaén.
Un des enthousiastes admirateurs, Manuel Vallès, (critique d’art, poète, chargé des affaires culturelles de la banque régionale) célébrera le plus souvent possible la venue de Fausto dans les Salles de Málaga ou de Marbella, témoignant, à sa manière d’homme de lettres, en faveur des mascarades troublantes qui enfanteraient des trésors de l’art éternel, comme « la beauté de ses compositions, toujours douces même dans l’amertume. »
La reconnaissance du sculpteur américain Bayard Osborn et de sa femme Pilar ainsi que la bonne volonté de Suzanne Jover étaieront le soutien de quelques autres férus du nouveau venu sur la Côte.
Fafa reste à sa place, près de leurs étudiants de fils. On rejoint Fausto le dimanche à moins qu’une raison professionnelle requière à Jaén sa présence, car, tout en appréciant le système de vie qu’il s’est organisé au bord des vagues, notre artiste en vogue cherche une issue économique à son élection artistique.
Les croquis.
Fausto dit « se refaire le poignet » par la contrainte ascétique du dessin. Oui. Et si le dessin le lui rendait ?
Le fait est que, parallèlement aux tableaux qui circulent au gré des expositions, des dizaines de croquis du naturel commencent à s’amonceler sur les tables du studio maritime. Ce sont des variations de gestuelle humaine, prises sur le vif, depuis la hauteur du huitième sur la plage.
Une plume noire, circonvenant le réalisme des modèles à leur insu, s’arroge les expressions inhérentes à chaque individu, prisonnières du regard prédateur à longue vue. Cet exercice obtient le résultat contraire de celui de la photographie car, cherchant à capter l’instant par un long tracé fidèle à la forme extérieure, il en déclenche, d’un coup, l’intrinsèque allant.
Point de départ mimétique sur le papier, un trait suffit à muscler le geste en devenir.
Plus le dessin de mémoire immédiate s’applique à la précision, plus il débride l’imaginaire.
Les croquis et la maturité d’un dessein, jusque-là embryonnaire, finissent ensemble par produire méthodiquement leurs fruits.
En un beau soir d’inquiétudes où prennent place, aussi, les circonstances futures de ses enfants et le choix de leur destination, reliées à l’économie du moment, Fausto planifie l’élaboration de collections d’esquisses qu’il présenterait aux acheteurs les plus amicalement proches.
Une série de vingt collections se distribueraient en cartons à dessin, (gris aux lacets rouges, pas d’autre choix en boutique) à raison de cinq dessins par livraison et par mois.
Insérées dans des chemises, ( brunes cartonnées, les seules disponibles) cinq feuilles par ami, pendant douze mois, cela représenterait… mille deux cents œuvres originales.
Mille deux cents croquis, soustraits, en un an, au paseo marítimo de Torremolinos !
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Une souscription finement ciselée serait enregistrée afin que les « clients-amis » puissent régler, par ordre bancaire, les cinq oeuvres correspondant au mois en cours. Ce contrat forcerait l’artiste à accomplir mensuellement ses engagements de rendement d’une part, ce qui le ferait progresser et, d’autre part, il contribuerait à la subsistance de sa famille durant une année de plaisir journalier !
En fait, les données chiffrées que Fausto a l’air de s’inventer, correspondent exactement à celles du salaire ministériel qu’il percevrait s’il professait à l’Ecole.
Cet agencement commercial lui permettrait, par-dessus le marché, de conserver le contact chaleureux qui le lie effectivement aux copains dont il apprécierait la reconnaissance.
Sa manufacture intérieure, mentalement en marche, anticipe les structurations de software personnel et pousse à la récompense dans l’acquisition d’un poste de télé. L’achat s’effectue à Málaga en compagnie de Paco, alors dans les parages de Marbella, et qui acquiesce la nouvelle résolution de son frère. Il l’encourage à fignoler le projet, ne doutant pas une minute de la capacité artistique et volontariste de son aîné.
A propos, chaque feuille comprendra :
Mille deux cents originaux en perspective, troqués contre une année- temps !
On pousse plusieurs feuilles et autres papiers tout au bout de l’étroite commode style castellanoStyle très en vogue à partir de l’ouverture politique de l’Espagne, et qui a meublé pendant les années 60 et 70 tous les couloirs et chambres d’hôtels du pays. ( Imitation style XVIIe s.) pour installer la très lourde télé… Là, une fois les connections bien arrosées… on trinque encore, sur le balcon de travail. On trinque à l’infinie étendue d’espérance bleuie sans coupure d’horizon, pendant que, dans une fraîcheur clair-obscure d’apéro tonifiant, les premiers airs swingués sonorisent la terrasse des restaurants, le long de la plage.