L’arrière-saison de l’été 1966 se boucle par l’exposition collective qu’organise le Grupo Jaén à Ciudad Real (Ripoll, Cerezo, Montijano, Damián Rodriguez, Viribay, Cortés, Fausto…) et nous ramène en France, momentanément, Fausto ayant l’intention de s’établir plus tard à Madrid où une bourse du Ministère devrait lui être attribuée.
Mais ce qui se décide promptement, c’est son mariage en Lorraine! L’attente d’un enfant précipite le mouvement moral ambiant, ce qui se traduit par un soulagement pour les familles… Alors que le monde s’agite autour de lui, réglant les paperasseries territoriales et consulaires, Fausto s’occupe à une activité fébrile relative à la peinture ; il ne pourra jamais changer de lieu sans aussitôt y installer un coin solitaire, à meubler de toiles, de bristols, de tubes et de boîtes. Un coin silencieux à sonoriser à l’aide de disques, de magnétophone, de radio. Un coin ouvert au jour, pour s’y investir pendant la nuit !
Si le séjour lorrain bouleverse quelque peu son existence, il ne trouble guère le rythme de son évolution créatrice. Au contraire, en ligotant (parce qu’en France le divorce y est toléré !) définitivement son destin, il permet à l’allant artistique de développer les sensations viscérales, disloquées, chamarrées qui s’étalent presque impudiquement sur les feuilles de papier. On constate que ses capacités esthétiques se libèrent en terre gauloise. Quelques mois auparavant, la révélation de l’encre comme matière fouettait sa curiosité ; cette fois le développement progressif de cette même matière le dirige vers une liberté expressive. Chaque tableau tend à une élaboration inédite, ce qui explique l’hétérogénéité d’œuvres peintes, somme toute, en un laps de temps très court. Les précédents tableaux, réalisés à Jaén entre juin et août, reprenaient d’emblée l’épaisseur et les teintes terreuses très employées avant son année parisienne. Or, quand Fausto se trouve à nouveau en France, c’est spontanément que resurgissent l’onirisme tortueux et les couleurs ondoyantes, arrachés aux abysses méconnus de son sommeil d’atlante immergé.
Une question s’impose à ce sujet. S’agirait-il d’un changement pictural dû aux diverses matières employées ? - Dans le cas des œuvres innovantes exécutées en France, l’encre typographique choisit en quelque sorte d’alléger les expressions sur le papier. Dans le cas des œuvres ibériques de la même époque, la peinture à l’huile se couche plus pesamment sur le support. - Ou ce changement comporterait-il une contradiction qui s’ajouterait à la liste déjà bien longue, des plaisirs du double-sens dont les lignes sinueuses, profilées au gré d’un ressac intérieur, seraient délimitées par ce qu’il acepterait, à la manière d’Ortega y GassetJosé Ortega y Gasset, philosophe et écrivain espagnol . Madrid (1883- 1955 ), comme de simples circonstances personnelles ?
Parallèlement, serait-il imprudent de chercher dans l’écoute d’une langue nouvelle et de sa musicalité elliptique, la genèse d’un concept fluant vers les horizons de l’abstraction pour Fausto qui, de plus, souffre de troubles auditifs et tente d’échapper aux certitudes que son attention ne cerne pas totalement ?
En outre, que ce soit à travers la poésie, le théâtre, les bons mots, les contrepèteries ou les zarzuelas et les chansons populaires, l’attraction qu’éprouve Fausto pour la parole ne viendrait-elle pas corroborer et du ton et du rythme, l’illusion décisive qui imprègne différemment ses œuvres ?
C’est donc en pleins préparatifs de la noce que s’accumulent les bristols sur le sol et aux fenêtres de la véranda de la maison de They-sous-Vaudémont.
Diálogo de Sordos dont le pessimisme titré augurerait, à la veille du jour de son mariage, un bien triste passage, si on ne le prenait pas à la rigolade.
Martinetes, trois personnages autour d’un feu qu’on devine par le chaud reflet rouge-rosé définissant en arrachage de couleurs sur le blanc, des gitans noctambules.
Atadura où quelques griffures blanchissent le papier et accentuent la violence d’un corps lié qu’entourent des visages aux âmes désorientées. *Titres : Dialogue de sourds, Martinetes, ( chant flamenco), Attache.
Réminiscences contradictoires, encore et toujours, puisqu’à ces moments de dramatiques inscriptions noctambules Fausto dépoussière et déchiffre de vieux 78 tours épars dans la demeure campagnarde. Dranem : La vigne aux moineaux, C’est avec des mots comme ça. Bourvil : La Dondon dodue, Adèle, Pin-up. Yvette Guilbert : Le nombril en forme de cinq, Madame Arthur , Lanfontaine : On s’esquiche…
Le sourire narquois, le regard d’inquisiteur malicieux, son nez aquilin plongé dans une tasse de café, quelques questions aux lèvres, il jubile ! Courbé sur le disque qui tourne une histoire, à la sienne complètement étrangère, il s’amuse et par ses propos gestuels, il communique une hilarité que l’entourage traduit en redécouvrant les coquineries mélodiques d’un passé familial, revues et corrigées dans un langage nouveau et diamétralement opposé aux noirceurs picturales de la nuit antérieure.
Contradictions ?..
Mais n’est-ce pas à l’aurore du Jeudi Saint, au cours des processions larmoyantes de la Passion, que se remplissent le plus bruyamment les bars et les tavernes de Jaén ? Contradictions ?…
Le mariage, enfin, contient dans sa simplicité minimale une affirmation sécurisante face à la vie à venir : celle du bébé bombant. C’est aussi pour Fausto l’occasion de découvrir, entre ahuri et bouleversé, l’originalité de son beau-père qui, alité depuis presque un an, trouve la force de montrer son contentement ; pendant la courte cérémonie en la basilique de Sion, à laquelle il ne peut assister, ce dernier profite de l’évacuation des lieux pour se lever et descendre seul les escaliers de sa chambre… Il organise le repas que l’on partage joyeusement… puis, sale, hirsute, chancelant, au grand étonnement général, il s’installe devant le piano, allume une cigarette et, sans arrêt, fume et joue jusqu’au soir…
Concentré d’une existence… un très abstrait cadeau de mariage que le gendre reçoit comme le plus somptueux des présents.
Quelques jours après, Fausto, déclinant la proposition de rester à peindre les ciels lorrains, formule le désir de prendre ses responsabilités d’homme mûr qui, en hidalgo contemporain, assumera seul le destin de sa propre maison en Espagne.