Evocations... Mon mari, Fausto Olivares, peintre.


Françoise Gérardin
Chapitre 35 : 1986~1993

Tableaux en préparation pour Saint-Dié-des-Vosges

On suppose que le climat serein des côtes du Rhône et la distanciation , parviendront à calmer quelques tracas de santé qui apparaissent sournoisement. La prouesse d’un sevrage de cigarettes ne s’avère guère concluante. Une toux assidue, des reins calculateurs, un estomac inculpé d’aigreurs, un sommeil perturbé, bref, tabac et café, ces boucs émissaires de la médecine, sont mis en cause sans appel. Si souvent conseillé, l’arrêt volontaire des nocives substances, après plusieurs mois, dérive, mollement, vers une informelle restriction qui ne retiendra  puis, que les vingt kilos de gagnés !.
Fausto amenuise l’effet de ce qu’il considère comme des fadaises organiques. Celles-ci ne parviendront pas à détourner de leurs entrelacs les giclures savantes et les éraflures d’un pinceau suppliant. Comme autant de suppliques axées sur Eros tourillonnant,  les compositions féminines, pléthoriques et majestueuses, d’un air détaché, innovent la transparence de certains bleutés ou la contraction d’un blanc fort soutenu : Devant la coiffeuse, Sur scène, Le tango, La voilette, La valse, La révérence, Le sourire, Le secret, La proie, Orientale, Zapateado 
Tout en traduisant ses somnambulesques inspirations Fausto initie une trajectoire salutaire aux abords de l’Ouvèze dont la cacophonie des galets semble réajuster, lors des promenades vespérales, le courant de son organisme récessif. C’est un fait assez inédit pour être mentionner : Fausto prend le temps d’arpenter la grand-rue, puis les Arcades et le chemin de la piscine jusqu’aux limites agricoles au pied du Saint-Julien. Il s’y astreint et, presque, il prendrait goût à la thérapie…

C’est en effet à Buis-lès-Baronnies que l’ensemble de l’exposition prévue pour Saint-Dié s’étoffera de drapés chatoyants et s’ornera de gorges en offertoire.
Dans les salles du Musée les œuvres rappelleront, entre autres similitudes, l’exubérance mortifère énoncée par un Valdès LealJuan de Valdés Leal : peintre, graveur baroque espagnol de Séville, (Cordoue, 1622-1690). ou celle de décorum sensuel dépeint par un Gustave MoreauGustave Moreau : peintre français (1826-1898).. Parfois même et nourrissant les béances d’une abstraction dansée, on y surprendra comme un geste de connivence, fraternellement envoyé, à l’adresse obscurcie d’un Odilon RedonOdilon Redon : peintre, graveur, français (1840-1916 )..
Fausto vit plus que jamais autour de lui-même. Solénoïde affairé aux spirales incandescentes dont il habille ses personnages, il reste attentif à la cadence progressive des activités de ses fils - Noël nous réunira ici cette année - et, précautionneux, face aux crises événementielles qui paraissent influer sur les existences lointaines, il adapte la formule « essayer de passer entre les gouttes » à ses démarches personnelles.
Sourire prudent et dorsal arc-bouté, il s’abrite à la clarté des toiles qu’il dévisage avant que de les estomper. Les enregistrements de vidéo tournent autour des Pascal SevranPascal Sevran : Jean-Claude Jouhand. Animateur, producteur de télévision française.( La Chance aux chansons) et Claude Jean Philippe <Claude Jean Philipp : Claude Nahon (1933) Auteur, cinéaste, producteur, acteur. Livres sur le cinéma, émissions T.V. Ciné-Club. parsemés d’autres diffusions musicales télévisées ( Menuhin, opéras divers ou reportages anciens sur des chanteurs populaires).

Moins de dix ans s’écouleront entre cette période fructueuse et le dernier voyage vers Grenade…

Alors que l’Espagne signe, euphorique et méfiante à la fois, son entrée dans l’Union Européenne, plusieurs directeurs de galeries proposent à Fausto de participer à des présentations collectives. Cependant on comptera plus d’expositions personnelles après l’été de Saint-Dié-des-Vosges. Les deux longs mois qui montrent les tableaux, à grands coups dérangeants pour certains visiteurs, favorisent des contacts inattendus et facilitent les projets simultanés en France et en Espagne : Metz, Madrid, Strasbourg, Paris, Jaén, Nancy, Cordoue… Les va-et-vient se nourrissent d’échanges et de travail informel. Par sa légèreté apparente une démarche artistique aux allures déjantées précise tout à coup les contours à peine noircis d’une série au graphite : La strip-teaseuse, Maternité, Mouvement de danse, Femme au fauteil. Comme un défilé entraîné aux pas d’Offenbach… C’est avec une joyeuse acceptation que les incidents et les désagréments s’assimilent aux journées tout irisées d’imprévus à capturer.

Il y a la dérisoire aventure du Musée d’Epernay, lorsque des tableaux reçoivent, sur le coin de leurs figures, les débris d’une cheminée tombée du toit de ce bel édifice effrité… Il y a le désarroi émotionnel du tableau Le secret qui, après avoir effrayé son acquéreur, retourne au bercail tout penaud et bouche rouge cousue, avant qu’un entendeur allemand ne s’en empare, quelques mois plus tard, à Metz chez Carlier. A Metz, justement, ce coup de foudre des Dmokhowsky pour les toiles alors exposées à la Maison de la Culture ; ils en veulent immédiatement deux ou trois pour les suspendre dans leur galerie du Marais ! Ce qui nous coûte un voyage… et un retour tout aussi chargé ! D’ailleurs, Fausto, après plusieurs démonstrations décevantes à Paris, à son fil de patience suspendu, décrète que dans la capitale ce sera à Beaubourg ou nulle part.

Moins de dix ans s’écouleront entre cet avenir prometteur et le dernier voyage vers Grenade…

Cependant plusieurs rencontres de convergentes sympathies impliquent des sensibilités spirituelles qui apprécient sa compagnie aussi simple que tonifiante. Roger Decaux, au cours de ses dernières conversations et avec une insistance, surprenante pour l’anarchisant que l’on connaît, essaie de convaincre son cadet, mais en vain, sur les avantages que représente un contrat d’exclusivité avec une galerie. Théo Wolters, parole fluette mais solide comme un fil d’acier, invite le peintre espagnol aux manifestations extra-frontalières (Forbach, Saarbrück) tout en renouvelant son chaleureux étonnement à chacune de leurs rencontres. Wolters n’hésite pas à se déplacer pour être présent aux expositions de ce jeune et nouvel ami auprès de qui il recouvre une foi artistique jalonnée de riches silences. L’attention, presque muette de Guy Tournoux et celle de sa femme Janine qui, avec ferveur, expose les œuvres de Fausto dans sa galerie J. à Strasbourg. Alors que, peu de temps auparavant, elle réprimait quelques haut-le-cœur à leur simple contemplation ! Au contraire de Jorge Galas, le Sud-Américain, directeur de la Salle municipale de Sézanne, croisé brièvement à l’exposition d’Epernay ; lui, il s’enflamma immédiatement au contact teinté de Sud qu’il ressentait comme une brûlure cicatrisante. Ayant proposé la Salle de la Culture de la ville de Sésanne, il regrettera que le réel succès des tableaux qu’il exposait fût loin du succès commercial escompté, bien que Fausto tentât de l’apaiser à ce sujet…question de longue habitude…et puis, et puis la réception organisée en son honneur ne compensait-elle pas avantageusement les éventuels manques à gagner ?… La fidélité du ménage franco-espagnol, Jean-Loup, Ilú Guéant qui, d’interrogations réplétives en marques d’amitié renouvelées, sauront manifester, jusqu’au-delà des dix années, une communication atemporelle avec Fausto. A Cordoue, c’est la prépondérance des demis-mots et les mélodies fredonnées qu’Antonio Povedano réserve à leurs entrevues futuristes. Et Marbella, où Fausto se plaît à suivre les avis que suggère Manuel Vallès, inlassable promoteur de lettres pour la  Traíña , revue qu’il dirige avec l’enthousiasme d’un fervent de tous les arts confondus.

Mais pour l’instant, l’artiste parcourt à marche forcée un optimisme galvanisé par la multiplication soudaine des ressources générationnelles. Son fils Fausto module ses temps au temps d’Hélène. Jaime, lui, adjoint ses visions aux vues de Véronique. Ephrem prépare son avenir à l’Ecole de Tourisme d’Illkirch. Tantôt à Strasbourg bousculé par l’effervescente jeunesse estudiantine, tantôt à Torremolinos en prise directe avec l’agencement de la série Scènes de plage ou la transcription bigarrée des harmoniques carnavalesques chantés à Cadix, il s’arrête cette année dans les galeries dépositaires de quelques-uns de ses tableaux. A Barcelone, directrice malade, promesses d’exposition aléatoires, on reprendra par prudence, les petits formats déposés … avec nos souhaits de prompt rétablissement. A Paris, la Salle sise dans le Marais rechigne à rendre toutes les toiles. A Albi, « Impressions », n’ayant rien vendu, opine que les œuvres devraient être présentées de préférence au Musée Toulouse-Lautrec, presque en face… oui, mais ce grand palais n’expose que des peintres disparus, nous signale, fort civilement, madame de Vincques, à moins qu’ils ne soient indiscutablement reconnus…

Fausto, ou les dédales curvilignes de l’acquiescement… Pourquoi pas un chapitre ?

L’inexorable et constante médiocrité environnante semble renflouer sa capacité à l’endurer. Cependant, le ressort d’un mécanisme flexible qui, d’ordinaire, le fait évoluer sereinement, s’en retrouve tendu jusqu’aux limites d’une cassante acerbité. Or, en rassemblant, de galerie en galerie, un par un, ses tableaux invendus, Fausto se surprend au jeu de la bonhomie qui le caractérise : recoge velas...replie les voiles avec la même rapidité qu’un vieux pirate le ferait au premier coup de tonnerre sous le ciel bleu. Puis, aussi satisfait que le pêcheur suivi de filets frétillants et avec l’assurance d’avoir déjoué tous les coups de roulis périlleux, il met le cap vers son havre ‘torremolinero’ !

On s’arrête un temps à Jaén, tout de même, pour prendre part aux tribulations familiales et pour ouvrir le courrier qui s’amoncelle, menaçant, comme à chaque retour de longue absence.
Là, dans l’atelier, sans prendre la peine de soulever les persiennes en bois, d’ailleurs trop gondolées pour ce faire… comme à chaque retour de longue absence… Fausto, avec une fébrilité contenue, cherche des rouleaux de lin, trie des châssis, tapote les toiles à repeindre ou à effacer. Il soupèse les tubes de peinture à demi écrasés. Il dépoussière, en les ployant sous le pouce, les poils des pinceaux qui rebiquent instantanément, vexés dans leur verticalité qu’on ait pu les soupçonner d’usure. Ces gestes coutumiers cherchent-ils une évaluation préfigurée? Ce pro de l’art regarde, en les ajustant à hauteur des yeux et à travers les rais lumineux de particules constellées… la verrine de gomme-laque et celle de bitume de Judée dont les onctuosités, noires et ors, suffisent à amorcer la libido créatrice de l’artisan consumé. Alors, soudain, comme par une guêpe piqué, il avise sur notre départ immédiat. Une euphorie verbale, tout d’un coup, ficelle des projets embryonnaires avec les paquets. La prochaine version d’un calendrier recomposé scotche les châssis à embarquer. On acceptera les avantages et les inconvénients des Salles d’Exposition. On détaillera les Scènes de Carnavals. On exploitera les Scènes de plages visualisées… tout en fredonnant sur un air de fandango de Huelva : pintando y pintando, siempre estoy pintando, a ver si a mis niños, les dejo el piso pagado*Peignant et peignant, toujours en train de peindre, afin de laisser à mes enfants l’appartement remboursé..
A cet instant, dans sa tête, il amasse  assez de toile à découper !.. bastante tela que cortar !  pour en peindre toute sa vie durant … affirme-t-il.
Au passage, on propose à Sérvula et à Mariflor de venir elles aussi, pour jouir quelques jours de l’appartement qu’elles possèdent tout près du nôtre, au bord des vagues ; ce fils aîné aime assister au sourire de sa mère que l’amertume a trop souvent découpé.


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