Evocations... Mon mari, Fausto Olivares, peintre.


Françoise Gérardin
Chapitre 34 : 1985

Nouvelles perspectives en France

A partir de cette date, c’est-à-dire à partir du moment où il a le loisir de jouer à cache-cache avec le démon des rumeurs camouflées à son encontre, Fausto suit le tracé tout chamboulé des autoroutes en construction. Il est impossible pour quiconque de suivre la piste de ses déplacements : un véritable T.I.R. de ceux qui commencent à sillonner les pays d’Europe avec immatriculation espagnole. Que se soit en Dodge ou en « 2 cv. » personne, mis à part naturellement Fafa et enfants, ne saurait situer la direction de ses chevauchées.

Tel un bandolero, lors de la Conquista d’Amérique, il aime prendre le large ( poner mar por medioDicton : «  poner mar de por medio » : s’éloigner, prendre ses distances.), comme si, entre son appartement de Buis-lès-Baronnies et Jaén, ou, en l’occurence, depuis le studio de la plage jusqu’aux bois retirés d’Hurbache, une farce tragi-comique le poussait aux trousses  et l’obligeait à en résumer l’aventure.
On peut le rencontrer à Madrid, exposant des œuvres qu’il juge d’avance invendables… Ou le retrouver à Marbella dévisageant une jeune fille dont le père lui a commandé le portrait. Paris également fait l’objet de parcours de traverses…
Pendant les vacances scolaires de cette année-là il s’évertue, aux côtés de Fafa, à dénicher une chambre pour leur fils Fausto qui s’inscrit en Fac de Lettres à Strasbourg. La décision, prise d’un commun accord ( Jaén ne bénéficie encore que d’un collège universitaire naissant), considère les critères de commodité qu’offrent la double nationalité et la proximité diligente de la tante Corinne qui rendra plus amène le dépaysement du jeune Espagnol en Alsace.

Le papa profite des occupations parentales pour interrompre ses activités d’artiste pendant quelques jours et ainsi prendre la liberté de dénicher des précisions, à dépecer, au sujet de chanteurs français d’une autre époque ; il implique ses fils dans la ronde des rengaines populaires et fait également plonger son beau-frère Jean-Marie dans le bain des photocopies de partitions anciennes. La joliesse désuète des en-têtes délicatement dessinées ( Fausto avoue régulièrement l’admiration qu’il porte aux illustrateurs des siècles passés) et l’annotation de répliques égrillardes font pouffer, dans la salle exiguë de chez Jean-Marie, les deux compères espiègles. Ainsi, les dessous primesautiers que certains refrains démasquent provoquent l’hilarité des deux ricaneurs bénévoles pendant leur occupation récupératrice de mélodies. Un des plaisirs sporadiques dans les Vosges se manifeste aussi par la découverte de rebus, hétéroclites mais analogiques aux manies passionnelles du peintre depuis son jeune âge et qui touchent aux représentations visuelles et auditives ; la maison d’Hurbache où habite Corinne, « le château », comme on dit au village, tout en enserrant les matérialités par elle conservées, contiennent aussi quelques strates anodins du passé qui stimulent la curiosité et le collectionnisme de ce veilleur de papiers qu’est Fausto. Il passe des heures au découpage de pâles sourires, d’acteurs et de chanteurs, empilés en vieilles revues, tout en enregistrant les disques d’Offenbach qu’il chantonnera par cœur lors de ses mises en couleurs sur paroles : « Le bal du Brésilien », « Dans la vie parisienne » … Il a soif de reproductions vocales qu’il emmagasine en ordre, aussi bien sur les bandes magnétiques que dans un coin du cerveau afin, si besoin est, d’en rétablir l’à-propos comme d’une forme d’économie verbale. De la même manière d’ailleurs il emploie les dictons ou les proverbes qui éclairent la stricte justesse de ses phrases concises. Ainsi, quelquefois, il insère au centre de réponses courtes, cinglantes ou affectueuses, des expressions prises à Sancho Pansa ou à Charles Trenet, à la Belle Hélène, à Georgius ou à Quevedo, et, ceci, avec le même naturel qu’il fait adhérer le rose du sourire nacré au carmin violenté sur l’encoignure obscurcie d’un tableau très flamenco.

Avant de reprendre le chemin des écoliers vers l’Espagne, il est question d’envisager une exposition au Musée municipal de Saint-Dié-des-Vosges. André Souche, adjoint à la Culture propose la date des mois d’été 1986.

Fausto rejoint donc son balcon de balbuzard afin de conclure les collections promises et d’alimenter les expositions déjà convenues. Jaime l’y rejoindra pour effectuer sa dernière année de lycéen dans une atmosphère détendue et adaptée à ses questionnements d’étudiant. Une atmosphère de travail que l’intimité filiale, privilégiée par la diversité des échanges, tresse avec les fils de l’attachement et de la réciprocité créative.
Récréative, de surcroît, à l’heure d’une sortie au pub, d’une émission télévisée ou d’un air de flûte que le chèvre-feuille, en contrebas, recueille en agrippant le serein fraîchi.
Quant au partage artistique, son approche professionnelle, générée par l’exemple d’intégrité, se constitue, pareillement, de l’exemple crayon en main.
Jaime apprend.
Puis, suite à la réussite du « bachillerato » et « selectividadPréparation aux études universitaires. », il suivra les pas de son frère en préparant, pendant l’été, son dossier d’entrée aux Arts Plastiques de la capitale alsacienne.
Fausto, pour sa part, renforce sa constance au travail en attaquant le calendrier chargé d’expositions personnelles et collectives en Espagne avant de ranimer son atelier à Buis-lès- Baronnies.
Il tient à peindre dans la douceur drômoise les tableaux qu’il exposera à Saint-Dié et, mis à part un réel désir de tranquillité, propice aux nouveaux engagements, on peut soupçonner dans cette décision une intention plus secrète, mais tout aussi légitime, celle de se rapprocher des trois enfants qui étudient maintenant dans l’Est. Ephrem, une fois passées les grandes frayeurs d’une paralysie faciale, devient interne au collège Sainte-Marie, à Saint-Dié. Il passe les fins de semaines chez sa tante Corinne à Hurbache.
Les deux aînés, à Strasbourg suivent leurs cours de fac. Fausto, en Langues classiques, s’intéresse aussi au théâtre ; encouragé par le professeur Colette Weil ( parcourant ce passage du texte, en vue d’indispensables corrections, j’apprends que Colette est morte hier, le 9 septembre 2008. Son absence subite va réunir en mémoire de nombreux anciens étudiants, émus et reconnaissants). Fausto donc participe activement à la vie de l’A.R.T.U.S.Groupe de théâtre universitaire de Strasbourg, créé par le professeur Colette Weil. ainsi que Jaime qui, en Arts Plastiques, garnit son passage universitaire de dessins, de peintures et de décors qu’il est impatient de montrer à son père lors de nos irruptions fortuites dans leur vie studieuse .


Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir