Evocations... Mon mari, Fausto Olivares, peintre.


Françoise Gérardin
Chapitre 18 : 1968~1969

Approfondissement du phénomène flamenco

Une autre exposition s’organise à Cordoue ; le même Grupo Jaén, animé par Ripoll le galeriste photographe. Cerezo, Damián Rodriguez, Moyano, Viribay, Dolores Montijano, Cortés, Fausto sont parmi les participants. Ripoll se chargera du transport des tableaux et les artistes le rejoindront tôt le matin afin de choisir chacun une place dans la Salle de la Caja de AhorrosCaja de Ahorros de Córdoba. : Banque caisse d’épargne de Cordoue. au centre de la cité des Califes. Fausto laisse partir ses tableaux en pensant surtout qu’après le cours du soir il se rendra avec son père, Fafa et le bébé Jaime à Puente Genil. Il espère y assister, malgré la neige qui brouille le ciel, au récital de flamenco offert en hommage au poète Ricardo MolinaRicardo Antonio de San Francisco de Sales MOLINA TENOR : Poète né à Puente Genil (1917 1968)., disparu l’année précédente.
Une dizaine d’artistes, dont Antonio Mairena, ami du poète de Puente Genil et co-auteur avec lui du livre Mundo y Formas del Cante Flamenco, vont chanter leurs émotions profondes. Il y a aussi Curro Mairena, Fernanda et Bernarda de Utrera, El Lebrijano qui rajeunit l’antique Tarara dans le bain d’une endiablée bulería, El Lucero, père d’Agustín Gómez le jeune flamencologue rencontré à plusieurs reprises lors de colloques sur l’art andalou, Fosforito, vu à Paris deux ans avant, Ranchal entre autres et Pedro Lavado, flamenco du cru qui nous reçoit dans son bar une fois le spectacle terminé.
Ce chanteur, du fond de sa taverne, ne veut plus se montrer en public. Avachi, alcoolisé, atone, il ne prétend ni n’espère plus rien ; quelques moments paisibles avant son dernier moment lui suffiraient… Mais, tout à coup, sortant des limites du comptoir, goguenard et désabusé, Lavado vient s’asseoir à côté du guitariste amateur, jette un mégot à terre puis s’éclaircit la voix en commençant à chanter por petenerasChant du répertoire flamenco, gitan mais aux accents yiddish. ; la mélodie cryptique au début fera poindre peu à peu les accents d’une révolte aiguë et cinglante qui finira par taillader l’air glacé sur le village transi…On se disperse. Il est cinq heures. Le bébé dort dans son moïse. Souriant, ravi, le père de Fausto semble avoir entendu les anges des cieux à la Noël. La deux- chevaux en toussote chemin faisant vers Cordoue.

Arrêt aux portes de la ville sommeillante. Sur le bord du fossé givré, on attendra que l’odeur de café réveille l’aurore sur les berges du Guadalquivir. Courbatures. Débarbouillage aux goulots de la Plaza del Potro. Recherche enfin des amis de Jaén qui nous attendent, en compagnie d’artistes et de professeurs déjà tous installés autour d’une table où MontillaVin de la même ville et jambon serrano définissent l’heure de notre retard. Rufino Martos, plasticien vénéré par les habitants des deux provinces limitrophes, régit de sa stature pompéienne la marche des événements gastronomiques avec le patron de la posadaBar, taverne, auberge, restaurant… ; également admirateur de Mairena, il invite Fausto à raconter sa nuit à Puente Genil. Le sourire narquois et les phrases caustiques enrobant cette allure timide que Fausto sait si bien adopter lors de ses explications imagées, animent instantanément la table. Antonio Bujalance, le peintre, et Antonio Campillo, le sculpteur, se mettent à fredonner des fandangos de Lucena ; une voix chenue, assise près de Fausto, entonne la solear de Frijonnes, c’est Antonio Povedano, professeur et peintre féru de Cante Jondo qui rit beaucoup à la description de l’aventure nocturne qu’on vient de passer en boucle, sans repos. Une longue discussion s’amorce alors entre les deux artistes qui font connaissance tout en liant l’art du Chant à celui de la Peinture dans une conversation qui ne prendra fin qu’à la mort du plus jeune en 1995.

Les éléments indispensables à la vie de Fausto sont désormais enlacés de telle manière que chacun des fils les composant contribuera à l’évolution générale de ses actions artistiques : les déplacements qu’il effectuera pour enregistrer les voix flamencas au cours de récitals ou de réunions informelles modifieront ses intuitions créatrices, les revendications estudiantines le renseigneront sur les projets à imposer à l’Ecole, de l’exposition du papier photographique dans sa chambre noire dépendra souvent la forme des fulgurances lustrées de ses toiles, les premiers pas de ses enfants l’encourageront à suivre la ligne droite des données générationnelles, l’acceptation du travail d’enracinement dans sa propre terre mobilisera la curiosité de l’extérieur vis-à-vis de sa peinture et l’aidera à déployer, hors des frontières, ses extrapolations d’artiste. En attachant ses filiations aux mouvements circonstanciels, il réunira, dans un esprit d’affection pérenne, les familles espagnole et française qui, à leur tour, s’intéresseront aux musiques populaires, aux arts plastiques ou à la photographie.

Une sorte de mise en place qui échangerait, contre le transport futuriste d’une lointaine idylle avec l’Histoire, l’allure d’un pas graduel par lequel la lenteurSans pause ni précipitation. présente circonscrirait l’avenir de l’artiste.
Sin prisa pero sin pausa (s’exprimera le ministre Fraga Iribarne, quelques années plus tard, dans une allocution télévisée au retour d’événements perturbateurs).


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