Un assemblage combiné de patience ancestrale et de prudes intentions, non moins andalouses, simplifie à tel point les agissements de Fausto que ceux-ci passent inaperçus aux yeux de ses proches ; on se demande, par exemple, si le débonnaire en cravate qu’on rencontre en discussion sportive, sous la télévision suspendue d’un café quelconque, entouré de vociférations footballeuses, est le même homme que celui qui chamboule la sensibilité artistique de la ville, travaille au renouveau de l’Ecole des Arts et Métiers ou fait des peintures qu’on n’ose pas accrocher dans un salon ! Mais le football est un thème qui mériterait un chapitre dans l’itinéraire antinomique de Fausto ; sa passion pour le ballon rond, bien qu’il ne fréquente jamais le terrain, dépasse l’entendement. En bref, il est capable de faire échouer l’entreprise d’un voyage ou d’escamoter une décision primordiale contre l’attente d’un but ou d’un penalty télévisé !
Le premier jour de son exposition au Musée d’Epernay, en 1988, les représentants officiels et le public patientent sur place… devant une table d’accueil joliment préparée en vue du lunch au champagne… ceci pendant que le peintre contemple la retransmission du match Hollande – Russie, chez Monsieur RoualetAncien directeur du Musée d’Epernay. … Les appels téléphoniques du conservateur Jean-Jacques Charpy, depuis le musée, ne le troublent même pas ! 2 à 0 ! On peut y aller ! Fort curieusement, le ministre-maire, Bernard Stasi, qui ne connaît pas encore Olivares, admet avec élégance la désinvolture de l’artiste. D’ailleurs, dès l’apparition d’excuses essoufflées, il l’entraîne, bras-dessus bras-dessous, le long des salles emplies par les dernières œuvres qu’avec plaisir le peintre lui commente en castillan à sa demande.
Combien de voyages perturbés, non par les caprices des enfants blottis à l’arrière de l’auto ni par d’éventuelles pannes mécaniques, mais simplement à cause d’un match qu’on se doit de suivre sur l’écran le plus proche ! Et aux époques de Coupe du Monde, alors, c’est le chamboulement de tous les horaires. En 1974 la traversée de la Suisse, de l’Autriche et de l’Allemagne est scandée par les vociférations incompréhensibles des clients de longues tablées dont les yeux, fixés sur les postes de télévision, dévisagent, à la sauvette, ces drôles de touristes soumis, comme eux, aux enjambées sportives… Bien que faisant partie de la croisière estivale, Paco Cerezo accoudé sur les nappes des brasseries germaniques, le nez dans une chope de bière, accentue son silence conventionnel et rumine des phrases lapidaires en souvenir de la Tragédie mondiale effacée … Puis à Munich, aux cris de Cruyff , Cruyff en défaite, les voyageurs se mêlent à la joie de la ville tonitruante qui les effraie quelque peu… il resterait des musées à voir… des monuments à visiter… Or Cerezo, de plus en plus mal à l’aise, demande à repasser la frontière au plus vite. R.F.A : 2, Pays –Bas : 1. Bravo ! Mais on regagnera dès cette nuit-là le sol français, plus humble que celui de son vainqueur de voisin.
Quatre ans auparavant, l’été 1970 est stigmatisé à Madrid par le concours national aux Arts et Métiers. L’ambiance est surchauffée dans les salles d’examens où les projets se matérialisent avec exaspération. La plupart des aspirants sacrifient leurs soirées aux révisions ou à l’amélioration de leur mémoire que quelques-uns vont jusqu’à relier en cuir. Par contre, ayant décidé que ses talents de dessinateur, de peintre et de pédagogue devraient être reconnus sans plus de considérations futiles, Fausto se libère des surcharges intellectuelles et invite ses amis au bar du coin pour jauger ensemble les aléas de tous les matches. Les corners et les buts du Brésil emporteront la Coupe télévisée : 4 à 1 contre l’Italie ! Quant à son mémoire, il ne comprendra que deux feuilles de cahier scolaire, très vite lues afin de ne pas lasser le jury déjà très éprouvé par l’écoute interminable des investigateurs de l’art… ce dont le jury lui saura gré puisque, malgré l’inconsistance de sa conclusion, il obtiendra la place de professeur titulaire de dessin.
Les occupations générées par une vitalité surprenante pourraient ressembler à un lâche abandon ou à une sorte d’infidélité aux engagements artistiques. Mais non, Fausto, au contraire, rend la peinture complice de ses mouvements périphériques bien que rien de ses penchants exutoires n’interrompe la ligne évolutive de ses œuvres. Il éprouve certainement le besoin de charger les accus, de saturer son esprit par d’autres monomanies que celles qui émergent de ses réflexes moteurs afin de capter, au point mort de l’imagination, la source d’une énergie toujours naissante. Les photos d’artistes, triées dans les hebdomadaires français Paris Match ou Jour de France, le découpage des corps séduisants de la revue Lui, introuvable chez lui, l’ordre en petits tas de petites boîtes d’allumettes représentant les habits régionaux d’Espagne, les collections de cartes postales de tous pays dont il tapisse les murs de la chambre de ses enfants, l’accumulation de bénitiers en faïence, de partitions anciennes des chansons de rues ou l’ensemble de reproductions érotiques des livres de Diderot ou de Sade ne sont pas les obsessions d’un esprit dévié ou à la dérive, mais plutôt les stratagèmes du magicien qui, de l’aspect banal d’objets insignifiants, rangés dans ses malles, saura déployer l’universelle illusion enfouie au fin fond de l’humain.