Fausto renoue les liens effilochés qui l’attachent à ses racines. D’autre part l’environnement reconnaît, parfois avec une réticence ironique, la présence de son artiste prodigue. Cela grâce à l’école des Arts et Métiers où il professe dorénavant mais aussi, à cause de l’ahurissement que provoquent son originalité révolutionnaire et la maestria indépendante rapportées de ses découvertes parisiennes : les passants tout à coup voient par la vitrine, dans un coin de galerie, les encres sur papier, déployées en éventails à même le sol, chez les marchands Ripoll ou Rosarte. Quelquefois ces oeuvres se redressent contre le dossier de l’unique chaise d’une taverne avinée telle que celle du GorriónDeux frères, Pepe et Paco, sous le portrait de feu leur père, servent des chatos derrière leur comptoir enfumé où n’entre aucune femme, mais où des journalistes taurins, des gratte-papier et autres sombres fonctionnaires viennent détendre leur langues avant d’aller déjeuner chacun chez soi. ou du bar Trix .
Au milieu des chuchotements narquois, Fausto, en sourires chargés d’excuses, dévoile ses figures distordues à l’avis direct et populaire dont il a toujours respecté et apprécié les opinions, tout autant que les critiques, jusqu’aux railleries qui, par ailleurs, le stimulent à accepter une intériorité en crucifixion constante. Il ne peint pas pour plaire, non, il ne peint pas pour souffrir non plus ; mais, par une coalescence assidue bien qu’involontaire, il assemble les expressions humaines les plus délicates en faisant surgir le glissement courbatu des muscles internes à la surface rédemptrice de ses œuvres qui fondent, à leur tour, les plus innovantes couleurs. Quant aux formes qu’il doit toujours expliquer, elles retombent naturellement sur pied une fois comprise leur logique authenticité.
Il lui arrive même, au milieu des commentaires hésitants, de vendre, à la volée le plus souvent ou de troquer ces papiers volants, sans cadre ni artifice, en échange de 500 pesetas ou d’un repas qu’il partage, comme ses émotions, autour d’une media de fino QuintaLa meilleure mère des caves de Jaén, dit-on. sous l’oriflamme volatile, claquant aux vérités vainement dispersées.
On commence à entendre parler du référendum. Les journaux corroborent l’importance de l’événement exceptionnel que le Chef d’état tient à imposer aux Espagnols en leur demandant une participation massive et … démocratique. Des regards dubitatifs se croisent en point d’interrogation sur les lieux de travail et dans les rues de chaque bourgade.
Toujours engourdie, sur le matelas grisâtre que les oliviers fournissent aux rêves de ses habitants, Jaén s’engage peu à peu dans la voie de l’évolution dictée, au pas des petits ânes qui piétinent la ville chargés de branchages d’arbres élagués, au fur et à mesure que l’huile emplit le moulin des cortijosFerme agricole. environnants.
Vingt-sept ans de paix parcourent les artères pentues de son corps citadin lézardé et préservent sa population, sage et soumise, de toute évasion créatrice et de toute velléité politique : on se demande bien à quoi va servir de mettre dans les urnes des bulletins obligatoires et déguisés avoue une voix basse entre deux verres de Manchego.
Néanmoins une sorte de détente générale optimise, depuis quelques mois, la presse officiellement libérée de censure et la télévision qui émet des informations en direct d’Amérique ou de l’Europe du Marché Commun.
La diffusion de films d’avant-garde, l’irruption des airs yé-yé et la joie stellaire de MarisolMarisol Pepa Flores. Née à Málaga en 1948, elle devenait chanteuse et actrice en 1959, marquant pendant de longues années, l’Espagne de ses sourires et de ses airs enjoués de petite fille surdouée,., raccourcissent les jupes des jeunes filles qui côtoient, à la promenade du soir sur l’avenue de la CarreraRue principale de la ville dans ces années 60., les châles en laine noire des femmes endeuillées. De nouveaux magasins garnissent leurs vitrines de modèles égayés du prêt-à-porter : acheter une robe n’est plus spécifiquement acheter un morceau de tissu pour s’y coudre une robe ! En bordure des trottoirs sans végétation, quelques cafétérias luxueuses inaugurent des allures confortables de pubs anglais.
14 décembre 1966, jour du référendum sur la LOI ORGANIQUE.
Tout le monde vote.
Après avoir accompli leur devoir forcé et pour distraire cette journée mémorable, Fausto et ses amis se rendent à Los Villares, village voisin où Damián possède un atelier d’été. Dans leur porte-feuilles, le certificat prouvant qu’ils ont bel et bien déposé un bulletin dans l’urne car, à l’avenir, on risque de le leur demander…
Ils reviennent tard … la télévision transmettait un match de foot en attendant les résultats très certains du référendum.
Ils reviennent si tard que Fafa, en attente brusquement douloureuse chez ses beaux-parents, sans comprendre encore la langue ni les événements, a juste le temps de s’accrocher au bras de son mari lorsqu’il apparaît à la porte et de courir pour accoucher à une heure du matin dans la clinique la plus proche.
Clinique Fermín Palma. Le quinze décembre, première heure, Fausto fils, et petit-fils, naît.
Quant à Franco, fort d’un oui à 95,05 %, il renaît.